L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) permet aux fournisseurs dites « alternative » (ou non historique) d’avoir accès à un quart de la production d’électricité nucléaire d’EDF à un prix fixe convenu pour tous. EDF, le négociant historique d’électricité en France, exploite les 58 réacteurs nucléaires actifs financés par les consommateurs français à l’époque où EDF était un monopole. Selon le réseau de transport d’électricité RTE, en 2019, 70,6 % du mix énergétique était assuré par l’énergie nucléaire.
Comment et pourquoi ce mécanisme ARENH est-il né ?
En 2007, après l’ouverture total du marché de l’électricité, la Commission européenne a exprimé son mécontentement quant à la procédure de libéralisation du marché de l’électricité en France, qui fausse la concurrence. Par conséquent, des solutions sont recherchées avec des objectifs tels que :
– Permettre aux consommateurs français de bénéficier d’une électricité plus propre et moins chère en partageant la production nucléaire avec tous les consommateurs et pas seulement ceux d’EDF.
– Favoriser la compétitivité sur le marché et encourager les investissements des parties prenantes.
En 2009, le premier rapport a été présenté à Jean Louis Borloo, ministre de l’Écologie et Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie. Le 7 décembre 2010, la loi dite NOME a été promulguée. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2011 et a pour objectif de prendre fin en 2025.
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a fixé le prix du MWh de l’ARENH en 2011 à 40 €/MWh et en 2012 il passe à 42 €/MWh jusqu’à aujourd’hui. La CRE fixe le prix et le gouvernement approuve ou non la proposition.
Chaque année, tout commercialisateur souhaitant avoir accès à cette production nucléaire doit demander à la CRE le volume souhaité en fonction de la taille des portefeuilles de ses clients. La CRE communique à RTE et EDF le volume total d’ARENH demandé pour chaque fournisseur. La CRE transmet également à la CDC (Caisse des Dépôts) le montant total à payer par chaque fournisseur et le niveau des garanties bancaires à fournir.

Figure 1: Schéma du mécanisme ARENH
En fin d’année, RTE vérifie que chaque opérateur n’a pas demandé trop de volume ARENH en fonction de ses droits actuels. Si une telle demande excédentaire se produit, le fournisseur devra rembourser cet excédent et même payer des pénalités financières.
Comment le mécanisme ARENH a-t-il évolué?
Depuis la mise en œuvre du mécanisme ARENH en 2011 jusqu’en 2018, la limite de la demande totale du volume ARENH qu’EDF était tenue d’offrir n’a pas été dépassée. Ce plafond est fixée à 100 TWh, soit un quart de la production nucléaire d’EDF. En 2019 et 2020, la plafond des 100 TWh a été dépassée pour la première fois. En 2020, 81 fournisseurs ont conjointement demandé 146 TWh de volume ARENH pour l’année 2021. En conséquence, RTE a dû appliquer un coefficient de réduction de l’offre pour chaque fournisseur. En 2020, ils n’ont reçu que 68 % du volume qu’ils avaient demandé. De même, en 2019, le volume ARENH demandé était de 133 TWh et les fournisseurs ont reçu 75,2% de leur volume demandé.
Cette reconfiguration du volume représente aujourd’hui le plus grand risque pour le consommateur. Elle génère beaucoup de méfiance car elle oblige le consommateur dans un délai très court et particulièrement proche de la date limite de livraison à redéfinir sa stratégie d’achat avec une part importante de la consommation qui devra aller sur le marché de gros en plein hiver avec le risque de volatilité que cela implique.
Le mécanisme a-t-il atteint les objectifs fixés par la Commission européenne et le gouvernement français?
De manière générale, l’atteinte du plafond ARENH ne semble pas perturber le développement du segment des consommateurs résidentiels, comme le montre l’augmentation régulière des fournisseurs alternatifs : 15,5% fin 2017, 19,5% fin 2018 et 23,4% fin 2019.
De même, pour les consommateurs non résidentiels, la participation des fournisseurs alternatifs a augmenté en 2019 malgré l’atteinte du plafond ARENH. La participation de ces fournisseurs dans le marché était de 39% en 2017, 43% en 2018 et 46% en 2019.
L’atteinte du plafond ARENH a toutefois eu un impact négatif sur le développement des offres à prix fixe en 2019 pour les sites de moyenne et grande consommation. Pour le processus d’apprivoiser pour l’avenir les contrats de fourniture d’électricité d’un client, il faut prévoir le coût de l’approvisionnement en énergie et en capacité pendant la période contractuelle. Le fait d’atteindre le plafond ARENH introduit un risque supplémentaire pour les détaillants qui ne peuvent pas savoir précisément quelle part de la consommation du client peut être couverte par le prix ARENH pour la durée d’un contrat dépassant un an.
Paradoxalement, plus le volume d’activité des fournisseurs alternatifs dépasse le plafond de 100 TWh, plus le coût d’approvisionnement augmente pour l’ensemble des consommateurs français. Après avoir atteint la limite de l’ARENH en 2018 et 20219, une augmentation du coût de fourniture de l’énergie des TRVE (tarifs réglementés de vente de l’électricité) de respectivement 3,3 €/MWh et 1,4 €/MWh a été constatée en décembre par rapport à novembre. De même, ces augmentations ont été observées de manière plus ou moins importante pour tous les clients dont le fournisseur a adopté la stratégie (sans risque pour eux) d’aller sur le marché de gros une fois que les résultats du volume sans accès à l’ARENH sont connus. Si ces volumes n’étaient pas soumis à un plafond, les consommateurs ne seraient pas dépendants de la volatilité des prix observée en fin d’année.
Compte tenu du développement de la concurrence sur le marché de l’électricité en France, la situation où le plafond de l’ARENH est atteint est susceptible de se reproduire.
Tout cela est révélateur des profonds dysfonctionnements du système ARENH, car ils sont en contradiction avec les objectifs de la loi NOME, qui vise à » la liberté de choix du fournisseur d’électricité, tout en veillant […] à ce que tous les consommateurs bénéficient de la compétitivité du parc nucléaire français « .
Depuis lors, quelles propositions ont été faites pour modifier le mécanisme ARENH?
L’année 2025 approche et de nombreuses autorités proposent de réformer le mécanisme ARENH.
L’une des propositions de correction les plus discutées est l’extension du plafond ARENH à 150 TWh. Toutefois, la CRE a estimé que, même dans ce cas, le volume pourrait être atteint rapidement, étant donné qu’il a atteint 147 TWh en 2020. Néanmoins, elle limiterait considérablement l’impact du coefficient correcteur de réduction de l’offre de l’ARENH et les consommateurs seraient les premiers à en bénéficier. D’autre part, cette augmentation de la limite de l’ARENH entraînerait certainement une réévaluation par EDF du prix de l’ARENH qui augmenterait.
Une autre proposition est la révision à la hausse du prix ARENH au-delà de 42 €/MWh. Lors de la création d’ARENH, certains ont demandé un prix de 49,5 €/MWh alors que certains fournisseurs alternatifs demandaient un prix de 35 €/MWh. Finalement, Jean-François Carenco, président de la CRE, a été catégorique : « Pourquoi 42 €/MWh ? Pourquoi pas 43 €/MWh ».
Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, a décrit en 2019 le mécanisme ARENH comme un réel danger et le plus gros handicap d’EDF. Pour eux, le mécanisme représente une option à leur désavantage. Autrement dit, si le prix du marché dépasse le prix de l’ARENH, alors tout le monde veut l’ARENH et EDF va vendre son produit au prix de l’ARENH. Toutefois, si le prix du marché est inférieur au prix de l’ARENH (c’était le cas entre 2015 et 2017), personne ne demande l’ARENH et EDF doit vendre sa production sur le marché à un prix inférieur à l’ARENH. Selon eux, ils ont le choix entre perdre et perdre. Ce fait limite EDF à envisager le financement de nouveaux réacteurs et à conserver les réacteurs existants.

Image 2: Comparaison entre le prix de l’ARENH et l’évolution du marché SPOT.

Image 3: Comparaison du Prix de l’ARENH avec les produits d’évolution Calendar
En 2020, au pic de la pandémie de Covid-19, alors que les prix du marché de gros s’effondrent, les débats et critiques sur le mécanisme ARENH s’intensifient et atteignent un paroxysme. Pour la première fois, certains fournisseurs ont voulu renoncer à ARENH après avoir passé la commande. C’est le cas de Total Direct Energie, Alpiq et Gazel qui ont joué la carte de la clause de force majeure. EDF a d’abord réfuté une telle demande, mais a ensuite été contraint par le tribunal de commerce de Paris de suspendre les contrats avec certains des fournisseurs.
Une autre proposition avancée par le Gouvernement et la CRE était l’introduction d’un prix » corridor » avec un prix compris entre 42 et 48 €/MWh. Cependant, à l’heure actuelle, il semble que la discussion sur le prix ARENH se situe au-dessus de ces prix, la CRE recommandant 48 €/MWh et EDF 53 €/MWh. Les négociations sont très dures et l’opinion publique pense que le prochain changement aura lieu lors des prochaines élections présidentielles en 2022.
Quelle est la place de ce mécanisme dans le processus de transition énergétique?
Si l’on admet que l’énergie nucléaire est un élément fondamental de la transition énergétique, ce retard dans la prise de décision de la réforme du mécanisme ARENH affecte directement les projets de transition énergétique en France compte tenu de l’instabilité financière qui pèse sur les projets de financement de nouveaux réacteurs et de maintenance des réacteurs existants.
La renégociation de ce mécanisme complexe nécessite non seulement l’approbation de Paris, mais aussi celle de Bruxelles. Dans cette logique, de nombreux efforts et des débats tendus ont déjà lieu entre la France et la Commission européenne.
EDF prépare le projet « Hercule » dans le but d’obtenir une meilleure rémunération de l’électricité produite par les centrales nucléaires françaises. EDF est actuellement très endettée et doit investir massivement pour prolonger la durée de vie de son parc nucléaire et développer en même temps les énergies renouvelables pour rattraper ses concurrents. « Hercule » entraînerait une scission du groupe en trois entités : une entreprise publique (EDF blue) qui serait chargée des centrales nucléaires et du réseau de transport. Un autre (EDF green) qui regrouperait les activités commerciales, la distribution d’électricité et les énergies renouvelables. Elle serait cotée en bourse, ce qui lui permettrait d’attirer des investisseurs pour développer l’énergie éolienne et solaire. Une troisième entité publique (EDF azur) pourrait être chargée des barrages hydroélectriques. Les négociations avec la Commission européenne sont toujours en cours pour définir les contours de ce spin-off.
La question du mécanisme ARENH n’est donc pas seulement économique, elle est politique et concerne l’avenir de la transition énergétique en France.